Rabbi Micah Peltz[1]
Approuvé le 1er janvier 2021 par un vote de 18-0-0.
Approuvé le 1er janvier 2021 par un vote de 18-0-0.
Ont voté pour : les rabbins Jaymee Alpert, Pamela Barmash, Suzanne Brody, Nate Crane, Elliot Dorff, David Fine, Susan Grossman, Judith Hauptman, Steven Kane, Jan Kaufman, Daniel Nevins, Micah Peltz, Avram Reisner, Robert Scheinberg, David Schuck, Deborah Silver, Ariel Stofenmacher et Iscah Waldman.
Votes contre : aucun.
Abstentions : aucune.
Question :
Maintenant que des vaccins contre la COVID-19 sont disponibles, avons-nous le devoir de nous faire vacciner ? Les institutions juives peuvent-elles exiger de leurs employés, étudiants et fidèles de se faire vacciner ? Que devrait être la conduite à tenir concernant la distribution des vaccins ?
Réponse :
La Torah nous enseigne : « Préserve-toi et préserve ta vie »[1], ce qui est interprété dans le Talmud comme une injonction à éviter le danger autant que possible[2]. Ailleurs dans le Deutéronome, nous trouvons la mitsva de placer un parapet, ou garde-corps, autour de son toit[3]. Cela suggère que nous devons agir afin de nous protéger et protéger les autres[4]. Comme le rabbin Moïse Isserles l’exprime clairement dans le Choulhan Aroukh, « Il faut éviter toute chose qui s’avère dangereuse, le risque pour la santé et la vie étant plus important que tout interdit religieux, nous devons donc être plus sévères sur les comportements dangereux que sur les transgressions religieuses.[5] »
La Torah souligne que nous devons veiller à l’intégrité physique de notre entourage quand elle dit : « Ne reste pas debout [sans agir] devant le sang de ton prochain.[6] » Ce qui signifie que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour protéger la santé d’autrui.
Ceci est un bref résumé des nombreuses sources qui indiquent clairement que le respect des mesures sanitaires pendant cette période de pandémie, comme le port du masque, le lavage des mains et le maintien de la distance physique ne sont pas seulement recommandés mais sont un devoir religieux indiqué par la halakha, la loi juive[7]. S’il n’y a, ne serait-ce qu’une seule chance, pour que notre comportement puisse protéger nos vies et les vies d’autres personnes, alors cela doit prévaloir sur toute autre considération.
En ce qui concerne les vaccins, nous pouvons dire à peu près la même chose. En 2005, le CJLS a approuvé à une écrasante majorité une techouva du rabbin Joseph Prouser intitulée « Compulsory Immunization in Jewish Day Schools » (« Obligation de vaccination dans les écoles juives »). La question posée était de savoir si les écoles juives pouvaient accorder une dérogation fondée sur des arguments d’ordre religieux afin d’accepter un enfant dont les parents refusent la vaccination. Le rabbin Prouser, après un examen approfondi des sources juives et de la recherche médicale contemporaine, a conclu : « Le refus de vacciner un enfant contre une maladie pour laquelle un vaccin existe / qui peut être prévenue par un vaccin est une violation grave de la loi juive : il n’y a aucune source dans la Halakhah qui permet d’appuyer la demande d’un parent quant à une dispense pour motifs religieux de la vaccination recommandée par l’Etat ». Bien que le problème posé par le rabbin Prouser concerne la vaccination des enfants, il est clair d’après les sources qu’il présente que la vaccination serait également une mitsva pour les adultes.
En effet, c’est la conclusion à laquelle le rabbin Elliot Dorff arrive dans son livre, Matters of Life and Death, quand il écrit :
« Grâce à son sens aigu de la communauté et du devoir, la tradition juive nous enquiert de prendre des mesures collectives pour préserver au maximum notre vie et notre santé. Ce serait par exemple une violation de la loi juive pour un juif de refuser d’être vacciné contre une maladie envers laquelle la vaccination a fait ses preuves. Les juifs, au contraire, ont le devoir d’être vaccinés, eux-mêmes et leurs enfants, contre toutes les maladies lorsque cette mesure préventive est efficace et disponible[8]. »
Telle est la position adoptée aujourd’hui par de nombreuses autorités halakhiques[9]. Il semblerait donc qu’il y ait une obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Il faut cependant noter que l’avis du rabbin Dorff vaut lorsque « la vaccination a fait ses preuves en matière d’efficacité ». La sécurité et l’efficacité d’un vaccin sont des préoccupations fondamentales.
Bien que les vaccins approuvés par les autorités sanitaires nationales comportent statistiquement un certain risque, il est généralement très faible ; ainsi le bénéfice que la vaccination représente pour la santé de l’individu et la société l’emporte. Cependant, ce risque est déterminé par les travaux de recherche et l’expérimentation , qui sont réglementées par les autorités nationales En raison de la pandémie, les vaccins contre la COVID-19 ont été approuvés aux États-Unis par la Food and Drug Administration (FDA) via une procédure d’autorisation d’urgence (Emergency Use Authorization). Les États-Unis ne sont pas le seul pays a avoir eu recours à un processus d’approbation accéléré. De nombreux pays à travers le monde ont dû utiliser un processus d’approbation accéléré pour les vaccins contre la COVID-19 afin de lutter contre la pandémie. Les EUA sont très rarement utilisés aux États-Unis, bien qu’elles aient déjà été utilisées pour approuver divers traitements thérapeutiques contre la COVID-19 comme le plasma de convalescents. Pour obtenir une EUA, les bénéfices connus et potentiels d’un traitement doivent l’emporter sur les risques connus. De plus, la FDA a déclaré que pour qu’un vaccin soit approuvé dans le cadre d’un EUA, il doit montrer au moins une réduction de 50% de risque de contagion au coronavirus et le bilan à plus de 2 mois doit être hautement positif . La FDA interroge un comité consultatif indépendant avant de prendre une décision d’approbation de vaccin[10].
Comment mesurer le risque potentiel d’un vaccin approuvé après une procédure accélérée par rapport à ses potentiels avantages pour l’individu et pour la société (du point de vue de la Halakha) ? Deux sources sont utiles pour répondre à cette question.
Les deux ont été écrites en réponse à l’invention d’un vaccin antivariolique efficace par Edward Jenner au début du XIXème siècle. Comme l’a montré David Ruderman, il y eut à l’époque un débat parmi les autorités rabbiniques sur le risque d’introduire une petite quantité de variole chez une personne en bonne santé[11]. Le rabbin Israel Lipschutz était un ardent partisan du vaccin de Jenner. Dans la section « Boaz » de son commentaire intitulé Tiferet Israel sur la Michna Yoma 8, 3, il écrit que le risque infinitésimal, (qu’il décrit de « un sur mille ») doit être préféré au risque beaucoup plus élevé de contracter la maladie[12]. De cela, on apprend qu’il faut comparer le risque réel de contracter la COVID-19 avec les risques présumés d’un vaccin approuvé par une procédure d’urgence.
La deuxième source est Abraham ben Solomon de Hambourg, également connu sous le nom d’Abraham Nanzig, qui a publié une lettre à Londres en 1785 intitulée Aleh Terufah. Nanzig lui-même était endeuillé par la perte de ses deux fils victimes de la variole, et sa lettre est un plaidoyer passionné pour la vaccination contre cette maladie. Le rabbin Prouser résume habilement les arguments de Nanzig, mais il y a un point qui est particulièrement important pour notre discussion ici. La variole était l’une des principales causes de décès au XVIIIème siècle en Europe, où environ 400 000 personnes en mouraient annuellement[13]. Cela a conduit Nanzig à une conclusion importante. Selon lui, la variole est tellement répandue, et si contagieuse, que tout le monde devrait être considéré comme à risque, et de ce fait le bénéfice vaccinal (même pour un vaccin nouveau et pour lequel il n’y a pas de bilan sur le long terme, comme l’était le vaccin de Jenner à l’époque) l’emporte sur ce risque[14]. En d’autres termes, le bénéfice sociétal de la vaccination, ainsi que les graves conséquences que peuvent avoir la maladie, l’emportent sur le risque éventuel pour quelques personnes.
La description de la variole par Nanzig à la fin du XVIIIème siècle en Europe peut être comparée à notre expérience avec la COVID-19. Compte tenu des taux d’infection et de mortalité exponentiels, l’impact qu’elle a eu sur notre vie quotidienne et sur la société, et les précautions nécessaires imposées aux individus, aux pays, aux entreprises et aux écoles, il semble juste de dire que nous aussi sommes tous en danger face à cette maladie. Cela impose à chacun de nous de respecter les mesures préventives telles que le port du masque, la limitation des rassemblements et le lavage fréquent des mains. Cette responsabilité pourrait s’étendre également à la vaccination contre le coronavirus. Il est important de préciser que ces obligations ne s’excluent pas mutuellement. Les vaccins sont efficaces contre le développement des formes graves de la maladie, mais on ne sait pas s’ils préviennent sa transmission[15]. Pour cette raison, les mesures préventives doivent rester en vigueur pendant quelque temps après la vaccination.
D’un point de vue halakhique, la question est de savoir si chacun des vaccins contre la COVID-19, bien qu’ils aient été approuvés dans le cadre d’une procédure d’urgence, peuvent être considérés comme une refuah b’dukah, un traitement qui a fait ses preuves. Dans The Observant Life, le rabbin Reisner écrit que « le concept halakhique d’un traitement éprouvé est beaucoup plus restreint que le concept actuel d’un médicament approuvé… du point de vue de la halakha, un traitement éprouvé doit être reconnu comme généralement efficace[16]. » Même s’ils ne sont pas aussi rigoureux[17] qu’à l’accoutumée, le rabbin Golinkin montre que les tests sur l’efficacité des vaccins contre la COVID-19, répondent néanmoins bien à l’exigence de refuah b’dukah, et par conséquent, nous sommes tenus de nous vacciner[18]. De plus, la Orthodox Union et le Rabbinical Council of America [orthodoxes] ont également statué sur la nécessité de la vaccination contre la COVID-19[19]. Il faut néanmoins rappeler que toutes ces autorités demandent à chacun de ne se faire vacciner qu’après consultation avec son médecin traitant.
Compte tenu de tout cela, il est clair que tous ceux auxquels le médecin recommande la vaccination sont tenus par la halakha d’être vaccinés contre la COVID-19.
Exiger la vaccination des employés, des étudiants et des fidèles
Comme indiqué ci-dessus, la techouva de 2005 du rabbin Prouser a complètement répondu à cette question pour les élèves des écoles juives. Il conclut : « À moins qu’une vaccination spécifique ne soit médicalement contre-indiquée, et certifiée par un avis médical fiable, les enfants non vaccinés – même ceux qui, en violation de la loi juive, ont obtenu une exemption religieuse ou philosophique de l’État – doivent se voir refuser l’admission dans les écoles juives[20]. Les sources et le raisonnement halakhiques de cette techouva résonnent avec notre situation actuelle et la question de l’obligation du vaccin contre la COVID-19. Par conséquent, du point de vue de la loi juive, il convient d’étendre la décision du rabbin Prouser à toute institution juive, lui donnant le droit d’exiger la vaccination contre la COVID-19 pour ses membres et visiteurs, qu’ils soient employés, étudiants ou simples fidèles. Il appartient auxdites institutions de demander un avis juridique pour adapter cette exigence au droit civil de leur pays[21].
Ethique juive et distribution de vaccins
Les questions d’éthique qui guident la distribution équitable des vaccins contre la COVID-19 sont complexes. Elles peuvent être posées à au moins trois niveaux différents : mondial, national et personnel. Les pays riches ont-ils le devoir moral de fournir en vaccins les pays pauvres ? Dans un même pays, sur quel critère doit-on décider du public prioritaire pour la vaccination ? En tant qu’individus, avons-nous chacun l’obligation d’attendre notre tour, ou pouvons-nous user de moyens détournés pour accélérer notre vaccination ? Ce sont des questions complexes sur lesquelles les gouvernements et les comités d’éthique sont en train de travailler. Nous présenterons ici des sources juives qui nous donnent un aperçu de ces problématiques. Il faut néanmoins affirmer que le principe de dina demalkhouta dina (la loi du pays est la loi)[22] s’applique à la distribution des vaccins. En d’autres termes, nous sommes tenus de respecter les décisions prises par notre gouvernement sur ces questions.
En particulier en ce qui concerne l’éthique personnelle, notre tradition nous donne toujours des conseils et fournit une perspective sur la question.
En mars 2020, le CJLS a approuvé deux techouvot, une par le rabbin Dorff[23] et une par le rabbin Nevins[24], relatives au tri des malades durant une situation de pandémie. Ces techouvot traitaient de l’attribution d’équipements vitaux, tels que les respirateurs, pendant la pandémie. Dans leurs textes, les rabbins Dorff et Nevins ont établi des critères de décision qui sont utiles pour réfléchir à notre problème.
Bien que le rabbin Nevins se réfère principalement à l’allocation de matériel médical rare à des patients déjà infectés, son étude sur la distribution des équipements de protection individuels contre l’infection est utile pour notre question. Parmi les trois questions à considérer lors de l’examen du traitement d’une personne A ou B, d’après les différentes sources, deux éléments principaux sont pertinents :
1. Lequel est en danger le plus immédiat et le plus grave ?
2. Un des patients est-il en phase terminale ? La loi juive fait la différence entre une brève survie ( hayyei sha’ah ) et le rétablissement à long terme ( hayyei olam), le critère étant une année de survie[25].
Déterminer qui est en danger le plus immédiat et le plus grave est une considération importante. Cela justifie que la priorité pour la vaccination soit donnée au personnel de santé, qui travaille avec des patients atteints de la COVID-19 et des résidents d’établissements de soins de longue durée, qui sont plus vulnérables à la propagation et aux formes graves du virus. Le deuxième point a soulevé des questions plus difficiles, car certaines études ont montré que les personnes âgées peuvent ne pas profiter autant de la vaccination du fait de leur immunosénescence (affaiblissement du système immunitaire). Cependant, cette étude est controversée[26].
Dans sa techouva, le rabbin Dorff revisite les cinq critères déterminant l’attribution de ressources limitées au sein d’une communauté, qu’il a développés dans son livre Matters of Life and Death [27].
Il identifie quatre principes moraux pour guider les décisions de tri :
1) Traiter les gens de manière égale, soit par le biais du « premier arrivé, premier servi », soit par un système de tirage au sort.
2) Favoriser les plus démunis sur la base de la « règle du sauvetage ».
3) Maximiser le bénéfice total (utilitarisme), mesuré soit par le nombre de vies sauvées ou le nombre d’années de vie sauvées.
4) Promouvoir et récompenser l’utilité sociale, basée, soit sur la valeur instrumentale pour l’avenir de la société, soit sur la réciprocité des contributions passées, y compris les personnes en première ligne dans la lutte contre le COVID-19[28].
Ces principes, basés sur des sources juives, sont utiles pour réfléchir d’un point de vue éthique à la question de la distribution des vaccins. Alors que, idéalement, tout le monde devrait avoir un accès égal aux vaccins immédiatement, cela est impossible compte tenu de la rareté initiale des vaccins et des défis logistiques. Cependant, les trois derniers principes restent des lignes directrices utiles pour réfléchir à une distribution mondiale et nationale. Privilégier les plus défavorisés nous conduirait à prioriser les plus vulnérables, comme les personnes âgées, les personnes immunodéprimées et/ou les groupes minoritaires qui ont toujours été victimes de discrimination dans le domaine des soins de santé. Maximiser le bénéfice total nous oblige à considérer la santé des citoyens, ce qui inclut également le bien-être socio-économique à court et à long terme. La promotion de l’utilité sociale nous amène à réfléchir à la manière dont nous pouvons vacciner au mieux ceux qui travaillent pour les autres, pour le bénéfice de tous.
En ce qui concerne la distribution mondiale, l’émergence d’un « nationalisme vaccinal » a grandement compliqué la mise en œuvre de ces principes[29]. Le nationalisme vaccinal se produit lorsque les pays cherchent à vacciner leurs citoyens avant le reste du monde. Si la protection de ses citoyens est une priorité absolue pour chaque pays, et cette volonté a accéléré les efforts de développement des vaccins contre la COVID-19, elle a également conduit à une plus grande inégalité de distribution.
Ces critères de risque concentrent notre attention sur le niveau individuel de distribution des vaccins. Il est important de se rappeler que ces directives sont toutes des recommandations aux États et aux gouvernements pour la distribution éthique des vaccins. La distribution effective sera locale, et le respect de ces directives revient en fin de compte aux directions des hôpitaux, cabinets médicaux et pharmacies où les vaccins seront distribués. La responsabilité revient aussi à chacun d’entre nous, qui devra attendre son tour pour se faire vacciner.
Compte tenu de la gravité de la pandémie et de la pression qu’elle a exercée sur toutes nos vies, il peut y avoir le désir, même de la part d’individus bien intentionnés, d’essayer de « frauder » pour être vaccinés plus rapidement. Autrement dit, utiliser ses connexions, son influence ou ses moyens financiers pour se faire vacciner plus tôt que le moment déterminé par les directives nationales. Outre les principes éthiques énoncés ci-dessus, il existe d’autres sources juives pour interdire ce type de comportement. Bien que généralement on doive prendre soin de soi avant d’aider les autres, cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix, surtout au prix de la santé de quelqu’un d’autre. Le Talmud aborde ce dilemme dans l’exemple célèbre des deux personnes marchant dans le désert :
« Deux hommes marchent le long d’une route désertique, un d’entre eux ayant à la main une cruche d’eau. Si les deux boivent, ils mourront tous les deux [avant d’atteindre un autre point d’eau]. Si seulement l’un d’entre eux boit, il atteindra un lieu habité [et survivra]. Ben Petora enseigna : Il vaut mieux que les deux boivent et qu’ils meurent tous les deux, pour ne pas voir le mort de leur ami. Mais ensuite, Rabbi Akiva a enseigné : « Que ton frère vive à tes côtés » (Lév. 25, 36) – cela signifie que ta vie est prioritaire sur celle de l’autre[30]. »
Rabbi Akiva enseigne que bien qu’une personne doive sauver sa vie en priorité, la plupart des commentaires suppose qu’il a tranché ainsi parce que la cruche d’eau appartenait clairement à l’une des deux personnes. S’il s’était agi d’une cruche d’eau partagée, alors il est possible que Rabbi Akiva aurait choisi de trancher différemment. Il est important de noter que personne ne suggère que celui qui n’est pas la propriétaire de la cruche d’eau doive prendre la cruche de l’autre. Ce serait voler, voire même, si cela conduit à la mort de son ami, une transgression encore plus grave. Même si sa propre vie est en danger, ce n’est pas un cas où il serait justifié de s’emparer de la cruche d’eau de l’autre[31].
Nous devons prendre soin de nous-mêmes d’abord, mais pas au détriment potentiel de la santé et du bien-être des autres. Utiliser ses relations, son influence ou ses moyens financiers pour obtenir une dose de vaccin en priorité peut potentiellement mettre la vie d’autrui en danger, cela est donc formellement interdit par la loi juive.
Psak Din
1. Le respect des mesures préventives contre la propagation du COVID-19, comme le port du masque, le lavage fréquent des mains et le respect de la distanciation physique sont des mitsvot, ces mesures sont donc requises par la halakhah.
2. Nous réaffirmons que la loi juive requiert des juifs de se faire vacciner eux-mêmes et les proches dont ils ont la charge, après avis médical, avec des vaccins qui ont fait leurs preuves et qui sont reconnus comme sûrs.
3. Les vaccins contre la COVID-19 approuvés par les agences nationales de santé après une procédure d’urgence sont considérés comme des refuot b’dukot, des traitements éprouvés. Après avis médical favorable, les juifs sont tenus de se faire vacciner contre la COVID-19.
4. Les institutions juives sont autorisées par la halakha, à exiger de leurs employés, étudiants, et fidèles de se faire vacciner contre la COVID-19. Il convient de demander un avis juridique pour adapter cette exigence à la loi.
5. Envisager la distribution éthique des vaccins contre le COVID-19 à l’échelle mondiale et nationale nous invite à appliquer les principes moraux du judaïsme : égalité de traitement, attention aux plus défavorisés, et recherche du bien collectif. Le principe Dina demalkhouta dina (la loi du pays a force de loi) nous oblige à accepter les priorités de distribution décidées par les autorités.
6. Utiliser relations personnelles, influence ou moyens financiers pour recevoir le vaccin contre la COVID-19 plus tôt que le moment qui nous est attribué est formellement interdit.
Traduction : rabbin David Touboul. Mes plus vifs remerciements à Rebecca Afchain, Déborah Tessier et Aviva Bloch pour la relecture et les corrections.
[1] Deutéronome 4, 9
[2] Talmud de Babylone, Berakhot 32b
[3] Deutéronome 22, 8
[4] Maïmonide Hilkhot Rotzeah 11, 5-6
[5] Choulhan Aroukh Yoré Déa 116, 5
[6] Lévitique 19,16
[7] Pour une étude plus approfondie de ces sources, voir Matters of Life and Death: A Jewish Approach to Modern Medical Ethic par le rabbin Elliot Dorff. En outre, voir l’avis du rabbin David Golinkin : https://massorti-nice.com/halakha-et-vaccination/
Voir aussi Rabbi Elliot Dorff et le rabbin Susan Grossman “Wearing Face Covering, Physical Distancing, and Other Measures to Control the COVID-19 Pandemic” CJLS, à paraître.
[8] Dorff, p. 253
[9] Pour un bon résumé des avis dans le judaïsme orthodoxe, y compris en réponse à l’épidémie de rougeole en 2012, voir le rabbin Asher Bush « Vaccination in Halakhah and in Practice in the Orthodox Jewish Community », Hakirah 13, 2012 pp. 185-212. Rabbi Shlomo Brody, « Vaccinations : Does Jewish law mandate preventative vaccines ? » dans A Guide to the Complex : Contemporary Halakhic Debates, pp. 60-62. La déclaration « Statement on Vaccinations from the OU and Rabbinical Council of America », publiée en 2018, déclare : « L’OU et le RCA exhortent vivement tous les parents à vacciner leurs enfants en bonne santé selon le calendrier recommandé par leur pédiatre ». Notez qu’elle ne va pas jusqu’à rendre obligatoire la vaccination : https://www.ou.org/news/statement-vaccinations-ou-rabbinical-council-america/
En 2015, L’Union for Reform Judaism a adopté une résolution soutenant les lois de vaccination obligatoire pour les enfants et les adultes : https://urj.org/what-we-believe/resolutions/resolution-mandatory-immunization-laws
[10] École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg : Qu’est-ce que l’autorisation d’utilisation d’urgence ? https://www.jhsph.edu/covid-19/articles/what-is-emergency-use-authorization.html
[11] David B Ruderman, “Some Jewish Responses to Smallpox Prevention in the Late Eighteenth and Early Nineteenth Centuries: A New Perspective on the Modernization of European Jewry.” Aleph : Historical Studies in Science and Judaism, 2; (2002): 111-144.
[12] Voir le rabbin Avram Reisner dans The Observant Life, « Medical Ethics », p. 759
[13] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1200696/
[14] Ruderman, p. 120
[15] https://www.fda.gov/news-events/press-announcements/fda-takes-key-action-fight-against-covid-19-issuing-autorisation-d’utilisation-d’urgence-premier-covid-19
A noter que depuis la rédaction et la publication de cet article, de nouvelles études montrent que les vaccins protègent aussi de la contagion (Dr Aviva Bloch).
[16] The Observant Life, p. 757
[17] NDT : le Dr Aviva Bloch consultée pour la traduction précise que la rapidité de la mise sur le marché des vaccins contre la Covid-19 n’est pas le fruit d’une baisse de “rigueur des tests” mais d’un ensemble de facteurs ayant permis l’accélération des procédures, en terme de progrès technologique et de collaboration mondiale notamment.
[18] 19 Golinkin. Aussi, dans une correspondance privée le 06/12/2020 : « Si le vaccin est efficace à 95% et que les seuls effets secondaires loin sont les maux de tête et autres, alors c’est une refuah bedukah. Il est important de noter que tous les vaccins contre le COVID-19 sont efficaces à 95%. C’est pourquoi les tests que les vaccins subissent pour recevoir l’approbation aux États-Unis, plus le fait que nous sommes dans une pandémie ( sh’aat hadhak ), les qualifierait de refuot b’dukot.
[19] « Guide du vaccin COVID-19» présenté par la « Orthodox Union » et le « Rabbinical Council of America », 15 décembre 2020; https://www.ou.org/assets/Guidance-re-Vaccines.pdf
[20] Prouser 29
[21] Notez que la US Equal Employment Opportunity Commission a récemment mis à jour ses orientations sur les vaccins, déclarant que cette autorisation d’urgence ne modifie pas la capacité juridique d’un employeur d’exiger un vaccin. https://www.eeoc.gov/wysk/what-you-should-know-about-covid-19-and-ada-rehabilitation-act-and-other-eeo-lois
[22] Bavli Gittin 10b, Bavli Nedarim 28a et ailleurs.
[23]Rabbi Dorff, « Triage in the time of a pandemic » https://www.rabbinicalassembly.org/sites/default/files/2020-03/Triage%20in%20the%20Time%20of%20a%20Pandemic.pdf
[24]Rabbi Nevins, “Triage and the Sanctity of Life” https://www.rabbinicalassembly.org/sites/default/files/2020-04/Triage%20and%20the%20Sanctity%20of%20Life%20%281%29.pdf
[25] Cité du numéro 5 à la page 11 de la techouva du rabbin Nevins
[26] https://www.webmd.com/lung/news/20200929/covid-19-vaccine-trial-shows-promise-for-elderly
[27] Pour un traitement complet de ces critères avec les sources, voir Dorff, Matters of Life and Death, pp. 282-299
[28] Dorff « Triage » 3
[29] “Vaccine Nationalism Is Doomed to Fail.” Yasmeen Serhan in The Atlantic. Dec. 8, 2020 https://www.theatlantic.com/international/archive/2020/12/vaccine-nationalism-doomed-fail/617323/
[30] Talmud de Babylone Baba Metzia 62a
[31] Voir Maimonide Mishneh Torah Hilkhot Yesodai HaTorah 5, 7