וַיְבָרְכֵם בַּיּוֹם הַהוּא, לֵאמוֹר, בְּךָ יְבָרֵךְ יִשְׂרָאֵל לֵאמֹר, יְשִׂמְךָ אֱלֹהִים כְּאֶפְרַיִם וְכִמְנַשֶּׁה; וַיָּשֶׂם אֶת-אֶפְרַיִם, לִפְנֵי מְנַשֶּׁה.
« Il les bénit alors et il dit: “Israël te nommera dans ses bénédictions, en disant: Dieu te fasse devenir comme Éphraïm et comme Manassé!” II plaça ainsi Éphraïm avant Manassé. »
Vayehi est la dernière paracha de la Genèse, qui voit la répétition d’une scène qui apparaît régulièrement dans la Torah : celle où un patriarche, se sentant mourir, appelle son/ses fils pour leur léguer son testament spirituel sous forme de bénédiction.
La dernière fois qu’une telle scène avait eu lieu, c’était quelques années plus tôt (à la paracha Toledot), et Yaakov en était l’un des principaux protagonistes. Cette fois, il en est l’initiateur et l’organisateur. Avec son père Itzhak, cela s’était très mal passé, et la famille avait littéralement explosé. On imagine aisément que Yaakov est désireux de ne pas reproduire les erreurs de son père, et de ne pas faire de sa mort l’occasion d’une guerre de succession, un conflit de plus au sein de cette famille qui a déjà tellement souffert.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le soin minutieux avec lequel la Torah nous relate les moindres petits détails de la scène, tous pensés et pesés par Yaakov, qui tient à montrer que bien que ses yeux soient « alourdis par la vieillesse », il n’est pas aussi aveugle que l’était son père. Il est le véritable maître de cérémonie, et sait ce qu’il fait.
Le premier fils que Yaakov convoque à son chevet est Yossef, mais ce n’est pas à lui directement qu’il donne la bénédiction. Il souhaite adopter publiquement ses deux fils, Manassé et Ephraïm, afin qu’ils soient intégrés dans la famille et ne soient pas rejetés. Dans un geste resté célèbre, il inverse le statut des enfants, et bénit le cadet de sa main droite et l’aîné de la main gauche. Pourquoi ? L’explication qu’il donne est d’ordre prophétique : dans la descendance d’Ephraïm se trouveront des personnages plus importants que dans la lignée de Manassé.
Mais dans le contexte de la Genèse, livre dans lequel à chaque génération depuis Caïn et Abel on trouve des conflits entre frères, et où, au sujet de la succession, c’est systématiquement le cadet qui hérite au détriment de son ainé (à l’encontre de tous les usages), ce geste, et la bénédiction qui l’accompagne, est beaucoup plus signifiant.
Il veut dire qu’à partir de maintenant, lorsque les hébreux béniront leurs enfants, ils leur souhaiteront d’être comme Ephraïm et comme Manassé. C’est-à-dire d’être à l’image de ces deux frères qui acceptèrent de mettre de côté leur statut de naissance pour considérer leur seule individualité. Seules les qualités et les mérites de chacun décideront de la place dans la hiérarchie, et pas la naissance.
Plus que cela : la bénédiction est que chaque individu se ressemble à lui-même, avant de se comparer aux autres (et d’éventuellement chercher à les dépasser).
Telle est l’ambition que Yaakov/Israël souhaite à ses descendants : cherchez avant tout à être fidèles à vous-mêmes. Le reste suivra.